La Clairière (titre provisoire)

Vicent Hennebicq | Marine Horbaczewski

« J’ai finalement toujours considéré le théâtre comme un grand jeu.» 

Il dit que nous sommes en 2081. Que l’être humain a littéralement asséché la planète. Que les mouvements migratoires ont conduit à des guerres interminables. Il dit que la mémoire contenue sur les différents serveurs a atteint ses limites, et que l’Humanité a dû se séparer d’œuvres et de contenus faisant partie de son Histoire. Il dit que l’Humanité est devenue stérile et que chaque nouvel enfant est accueilli comme un miracle. Il dit que c’est le début de la grande extinction. Et que pour y faire face, des bunkers nommés « Stations-refuges » ont été créés. Il dit que les bunkers sont destinés à accueillir une série d’enfants dès leur naissance pour les protéger et créer une nouvelle Humanité. Il dit qu’il est là pour nous élever. Que nos parents nous ont abandonnés pour notre sécurité. Il dit qu’il détient la mémoire de l’Humanité et qu’il peut répondre à toutes les questions qu’on pourrait se poser. Il dit que nous devrons imaginer un monde nouveau que nous bâtirons sur les cendres de celui que nos parents ont connu. Je ne sais pas s’il dit la vérité.

Prochaines dates de spectacles :

Théâtre National Wallonie-Bruxelles 3›7/10/23
Maison de la culture de Tournai 18›19/10/23


Interview

Pourquoi avoir choisi cette photo ? Comment vous ramène-t-elle à l’enfance et qu’évoque-t-elle pour vous ?

Cette photo me fait surtout penser à mes propres enfants. J’aime assez bien la concentration d’un enfant qui joue ou qui, par exemple, essaye de faire un puzzle. Ça me renvoie à comment est-ce qu’on arrive à faire une mise en scène et à construire quelque chose.

Le théâtre, un jeu d’enfant ? Que vous évoque le mot « jeu » ?

J’ai commencé le théâtre tout petit comme un jeu ! Plus tard, je me suis donc lancé dans des formations pour devenir acteur. J’ai finalement toujours considéré le théâtre comme un grand jeu. Je pense d’ailleurs que cela transparaît dans mes créations… parce que je trouve le monde dans lequel on vit tellement absurde qu’il y a aussi quelque chose de l’ordre du jeu avec ça ! J’essaye de faire du théâtre engagé mais il y a quand même toujours cette notion d’absurde et donc je tente d’avoir de l’humour quand même là-dessus et de ne jamais le prendre complètement au sérieux.

Le jeu est l’espace transitionnel par excellence, l’espace des potentiels : quel lien faites-vous entre vos jeux dans l’enfance et le jeu d’acteur·rice que vous êtes devenu·e ?

Je fais surtout le lien avec mes enfants c’est-à-dire de voir à quel point, lorsqu’ils jouent, ils sont à fond dans le jeu. S’ils décident d’être quelqu’un d’autre, ils vont l’être jusqu’au bout. Je trouve cela vraiment fascinant. Un peu comme un chat qui joue, qui ne s’arrête pas et qui ne prend jamais de recul ni de distance par rapport à ce qu’il est en train de faire. Je trouve qu’il y a ça aussi dans le jeu des enfants.

En tant que porteur de projet, quelles sont vos règles du jeu ? Quels sont les critères de jeu que vous partagez avec l’ensemble de l’équipe artistique ?

La grande règle dans cette création-ci c’est d’essayer de se dire qu’on n’a pas les mêmes codes que d’habitude. On va se mettre vraiment dans la position de personnes qui ont été élevées dans un cadre très différent ; en l’occurrence, qui sont, depuis leur plus tendre enfance, dans un genre de bunker coupé du monde. La seule référence qu’elles ont est celle qu’un humanoïde va leur donner. Ces personnes ont juste un seul récit sur lequel elles peuvent s’appuyer et c’est d’ailleurs ce qui va commencer à poser problème dans le spectacle. Ces personnes vont commencer à douter et à se questionner… est-ce qu’on n’est pas en train de nous mentir, que se passe-t-il dehors ? Puisqu’on évoque, dans ce récit, que le monde extérieur est apocalyptique, ces personnes vont essayer d’inventer un nouveau monde, d’imaginer quelque chose de nouveau, de plus doux et accueillant. L’autre règle du jeu est de construire le spectacle de manière quasi opératique, c’est-à-dire qu’on est sur une réécriture de Les Quatre Saisons de Vivaldi. Les 10 enfants, qui vont nous accompagner dans ce spectacle, vont vraiment jouer toute la trame de la recomposition de Vivaldi par Marine Horbaczewski. On a donc aussi cette contrainte, cette règle du jeu qui est de commencer par le début de l’automne et de terminer par la fin de l’été et presque sans arrêter.
Je terminerai avec cette dernière règle du jeu qui est de se mettre à disposition des enfants. Ce sont eux qui vont décider de pas mal de choses finalement et qui vont être en charge de leur propre parole. Nous écrivons donc la partie textuelle de l’humanoïde mais nous avons vraiment envie de collaborer avec les enfants, de trouver les moyens pour les interroger, de les mettre vraiment dans cette règle du jeu du bunker pour voir ce qui va en resurgir. J’ai l’impression que plus le cadre sera précis pour nous, plus ce sera facile pour les enfants de plonger complètement dedans et de nous faire confiance.

Quel est l’enjeu de cette nouvelle création pour vous ? 

Une nouvelle création est souvent la suite de la précédente. Mon précédent spectacle La Bombe humaine, parlait du dérèglement climatique et de ses conséquences ; dans cette nouvelle création l’enjeu est de savoir qu’essaye-t-on d’apprendre, qu’est-ce qu’on a appris sur le monde, qu’est-ce qu’on connaît, à quoi doit-on se préparer et qu’allons-nous transmettre ? Il y a beaucoup de peur qui se crée chez les adultes, les parents qui la transmettent aussi à leurs enfants… et peut-être que les parents, en plaçant leur enfants dans cet endroit, se disent qu’ils arriveront à faire mieux !

Jouer le « je » ? À quel endroit d’engagement vous situez-vous par rapport à votre métier ou à cette création ?

Dans le spectacle La Bombe humaine, je parle clairement en « je » ; dans celui-ci, c’est quelque part plus intime mais cela ne parle pas de moi directement. Dans le fait de choisir des enfants, cela fait écho à mes propres enfants, par rapport à l’éducation, à la responsabilité que nous avons en tant que parent de décider de ce qu’on en fait, de ce que nous allons leur transmettre. Avec Vivaldi, c’est cette idée de transmission, quelle beauté pouvons-nous encore offrir à travers l’art. En tant que jeune parent, de plus en plus conscient de tout ce qui risque d’arriver, c’est une charge mentale terrible au quotidien. La question du jeu permet de prendre un peu de distance là-dessus. J’ai l’impression que la représentation théâtrale libère quelque chose au niveau de la parole et ensuite au niveau du débat. Et le fait de mettre les enfants au centre du plateau nous permettra – je l’espère – en tant qu’adultes, de nous poser les questions différemment.

Cette nouvelle création s’apparente plutôt à un jeu collectif ou à un jeu solitaire ? 

Un jeu collectif ! On travaille avec une dizaine d’enfants qui doivent jouer collectivement cette œuvre et donc d’une certaine manière se soutenir les un·e·s les autres. Il y a aussi une grande équipe de création derrière ! 

Quel est votre meilleur·e partenaire de jeu ?

Je dirai la scène de manière générale car elle permet tout ! C’est un peu ma meilleure amie, elle accepte tout et elle est vraiment un partenaire de jeu incroyable ! Tout est possible à partir du moment où on met les pieds sur scène, plus que dans la vie et tant mieux sinon ce serait le bordel. La musique aussi est un partenaire de jeu incroyable. Car elle prend le relais quand les mots n’arrivent plus à exprimer ce qu’on voudrait dire. C’est fascinant et c’est ce que j’aime dans le théâtre musical.

Un jeu d’enfance qui vous a marqué ?

Il y en a plein ! Je dirais peut-être Atmosfear… un jeu de stratégie avec un maître des clés qui te dit de te plonger dans le noir et qui t’indique les choses à faire ou à ne pas faire… ça m’a marqué parce que ça faisait super peur et j’adore les trucs qui font peur !

À vous de jouer : s’il y avait une question essentielle selon vous à vous poser, quelle serait-elle ? Et la réponse serait… ?

« C’est quoi votre plus grand regret ? » et la réponse serait qu’on ne puisse pas avoir plusieurs vies en même temps et de ne pas avoir la possibilité de modifier le monde de manière plus forte.


Distribution :

texte et mise en scène Vincent Hennebicq composition musicale, écriture et ateliers enfants Marine Horbaczewski texte et jeu Jean-Baptiste Szézot et dix enfants univers sonore Maxime Glaude scénographie et création lumières Giacinto Caponio costumes Emilie Jonet régie son Benoit Pelé régie lumières (en cours)

Mentions :

production Popi Jones asbl coproduction (en cours) Théâtre National Wallonie-Bruxelles, maison de la culture de Tournai/maison de création, Théâtre de Namur, Théâtre de Liège, La Coop ASBL, Shelter Prod. aide taxshelter.be, ING & tax-shelter du Gouvernement fédéral belge