J’aime beaucoup ici
Isabelle Jonniaux | In Vivo 5.12
« Le jeu dans l’enfance nous plonge dans une fiction et un imaginaire que l’on continue à cultiver à travers le théâtre en ayant un regard fictionnel sur le réel. Dans les spectacles, j’aime bien qu’on fasse les choses pour « du vrai » et qu’on ne triche pas avec qui on est et ce qu’on raconte. »
Avec son carnet de notes, son appareil photo, et son irrésistible curiosité pour les détails, Isabelle Jonniaux déambule dans les villes, laisse dériver son regard, ses pensées. Tags, poubelles, enseignes, rencontres… Autant d’extractions du réel, que l’artiste déploie et recompose sur scène. En s’intéressant tout particulièrement à ce qui traîne dans les villes, à ce qui est relégué à la marge, elle s’engage dans une performance ludique et sensible, en forme de jeu de piste, à l’intérieur d’une installation scénique que le public est tout d’abord invité à traverser. Poétique et décalé, J’aime beaucoup ici est nourri des notes d’explorations, mais également de narrations intimes et rêveuses, de textes réflexifs, de pensées philosophiques, de montages visuels et sonores… La performance, conçue en lien étroit avec l’environnement géographique des scènes qu’elle investit, est une re-création permanente, in situ.
Prochaines dates de spectacles :
Maison de la culture de Tournai 12›14/04/23
Théâtre Varia, Bruxelles 13›24/06/23

Interview
Pourquoi avoir choisi cette photo ? Comment vous ramène-t-elle à l’enfance ? Qu’évoque-t-elle pour vous ?
Elle représente énormément mon enfance. Elle raconte aussi un tempérament et un devenir femme. Cette photo est pleine de contradictions que je ressens très fort ; qui ont traversé mon parcours d’enfant à adulte.
J’ai eu une enfance dans un univers très « garçon » car je suis la dernière de ma famille avec 3 grands frères. Il y avait peu d’écart entre nous, j’ai grandi avec eux, je récupérais leurs vêtements, j’avais la même coupe de cheveux et on partageait les mêmes jeux. Cette photo, avec cette jolie petite robe et cet arc à flèches, cette plume dans les cheveux, reflète cette contradiction dans laquelle j’étais. Ce côté guerrière qui évoque le fait de trouver ma place et de grandir auprès de mes frères.
Il y a aussi ce côté très sérieux du jeu sur cette photo car quand on joue, on ne rigole pas (en quelque sorte car, en même temps, on rigole énormément…) !
Le théâtre, un jeu d’enfant ? Que vous évoque le mot « jeu » ?
Je suis entourée de beaucoup de joueur·euse·s et je me bats toujours pour que le jeu ne soit pas une question de gagner ou de perdre mais qu’il nous amène plutôt à du plaisir ! En tout cas, pour moi, le côté jeu est associé à la notion de plaisir, sans aucune compétition. On joue à plusieurs, dans le plaisir de la relation à l’autre, d’entrer en connexion avec d’autres personnes dans d’autres modes de collaboration ! Selon moi, le théâtre est un jeu puisque c’est une façon de connecter à des émotions qui nous mettent en relation. Dans le jeu et le théâtre, on peut s’emparer et parler de manière ludique de sujets très sérieux ou parler très sérieusement de choses totalement inintéressantes, j’aime bien cette contradiction-là ! Et de pouvoir jouer avec l’un·e l’autre.
Le jeu est l’espace transitionnel par excellence, l’espace des potentiels : quel lien faites-vous entre vos jeux dans l’enfance et le jeu d’acteur·rice que vous êtes devenu·e ?
Le jeu dans l’enfance nous plonge dans une fiction et un imaginaire que l’on continue à cultiver à travers le théâtre en ayant un regard fictionnel sur le réel. Dans les spectacles, j’aime bien qu’on fasse les choses pour « du vrai » et qu’on ne triche pas avec qui on est et ce qu’on raconte. Même si on joue quelqu’un d’autre, ça part du même endroit, d’une vérité.
Quel est l’enjeu de cette nouvelle création pour vous ?
Il y en a plusieurs ! Le premier enjeu est un dialogue que j’établis avec les villes que je traverse et de le ramener au plateau. Les amener au théâtre c’est pouvoir réinterroger le regard qu’on porte sur ce qu’on voit tous les jours ou justement qu’on ne voit pas.
J’aime les choses qui sont en marge, mises sur le côté et qu’on ne regarde pas vraiment. Le deuxième enjeu a donc été pour moi d’en parler, d’ouvrir nos regards.Le dernier enjeu de cette création est de la réinventer à chaque fois à travers un nouveau lieu, une nouvelle ville puisque c’est une création in situ. Le contenu est en lien avec le contexte dans lequelle elle se joue, de faire perdurer quelque chose tout en y injectant des choses nouvelles. C’est un vrai défi pour moi de pouvoir raconter subjectivement la ville car je l’aborde d’un point de vue très sensible, de tout ce qui a pu me toucher lors des balades ou des rencontres que j’ai faites.
Jouer le « je » ? À quel endroit d’engagement vous situez-vous par rapport à votre métier ou à cette création ?
C’est un vrai engagement de se retrouver toute seule au plateau, c’est une démarche très personnelle et intime. À travers le « je », j’essaye de parler d’un « nous » collectif. C’est pourquoi je parle de performance parce qu’il y a des choses que je contrôle et une écriture de l’instant avec les spectateur·rice·s qui s’invente vraiment sur le moment et dans laquelle je ne peux pas tricher. Dans ces démarches in situ, il faut être complètement perméable à ce qui va se passer dans les rencontres, laisser entrer l’inconnu, laisser place à tout ce que je ne sais pas encore. Cette position de « je ne sais pas encore » est très précieuse dans un monde où tout le monde a des réponses à tout !
Cette nouvelle création s’apparente plutôt à un jeu collectif ou à un jeu solitaire ?
Il y a les 2 ! À travers ce spectacle-là, j’essaye de réenvisager des relations entre les individus, de se reconnecter à l’autre comme une invitation à s’interroger sur leur propre façon d’être en relation avec un lieu, une ville, des voisin·e·s ; on est donc dans un mode de fonctionnement individuel et en même temps dans un grand jeu collectif. Cette relation entre chacun·e et tout le monde est le cœur de ma réflexion. Je crois très fort aux bienfaits du rassemblement.
Quel est votre meilleur·e partenaire de jeu ?
Dans ce cas-ci, c’est vraiment le public. Les personnes que j’ai rencontrées, c’est en les observant que j’écris, en côtoyant le public, les habitant·e·s, c’est dans tout ce que je vois que je puise ma matière d’écriture. Pendant la représentation, mon seul partenaire de jeu, c’est le public ! Si je ne l’ai pas, tout ceci n’a aucun sens. Et il y a aussi la rue car, en amont, c’est avec elle que je dialogue ; la rue et tout ce qu’elle comporte, tous les sujets s’y racontent. Elle raconte la société à travers le monde social, le monde économique, le monde associatif… il y a des traces de tout ! Et la ville, c’est plus que mon partenaire, c’est mon plateau, mon support de jeu.



Distribution :
conception, écriture et jeu Isabelle Jonniaux collaboration à la mise en scène Anne Thuot conseiller à la dramaturgie Olivier Hespel scénographie Cécile Balate création sonore Loïc Le Foll création lumières et direction technique Christophe Van Hove développement et diffusion Bloom Project
Mentions :
Cette pièce émane d’un processus de recherche mené à L’L chercher autrement en arts vivants (Bruxelles) création IN VIVO 5.12 production Mars – Mons arts de la scène, Théâtre Varia, maison de la culture de Tournai/maison de création soutiens Maison Culturelle d’Ath, Fédération Wallonie-Bruxelles, Shelter Prod, Taxshelter.be, ING, Tax-Shelter du Gouvernement fédéral belge