En finir avec Eddy Bellegueule

Jessica Gazon / Collectif La Bécane

© Pierre-Yves Jortay

Basé sur le roman En finir avec Eddy Bellegueule, cette création dresse le portrait d’un ado rejeté, né dans une famille picarde désœuvrée, entre misère matérielle, intellectuelle et affective.
Eddy Bellegueule est un enfant con­sidéré comme “différent” par ceux qui l’entourent. Exclu, harcelé et violenté, il évolue dans un milieu précaire, où les garçons doivent rejeter l’école, où pour se construire en tant qu’homme il faut être “un dur”.

Un monde où le travail à l’usine détruit les corps, où on se retrouve au chômage, où on boit pour oublier, où abandonnés par les gouvernements, on vote Front National. Un milieu aussi où on déteste les “pédés”. Eddy est un “pédé”. Au-delà de la discrimination sexuelle, ce récit autobiographique poignant témoigne de cette lutte incroyable pour s’extirper de son milieu d’origine.

Interview

« Cet endroit, on s’y retrouve vraiment toutes les 4 ! Et, c’est aussi symbolique par rapport à notre histoire puisqu’on s’est toutes réunies autour d’un livre, En finir avec Eddy Bellegueule« 

Comment habitez-vous le temps ?
Janie Follet : Nous avons choisi la librairie de seconde main Pêle-Mêle à Bruxelles. Tout d’abord, parce qu’on lit toutes beaucoup. Pour ma part, c’est un espace-temps que je m’accorde pour m’évader de mon quotidien et j’y tiens beaucoup !
Sophie Jaskulski : Nous avons fait ce choix aussi parce que c’est une librairie d’occasion. Tous ces livres sont donc déjà passés dans les mains d’autres personnes, on y retrouve des vieux livres, plus du tout édités, comme des livres très récents et, par rapport au temps qui passe, cela raconte vraiment quelque chose.
Jessica Gazon : De manière très personnelle, il s’agit de mon refuge car j’habite juste à côté et j’y suis tout le temps. Cet endroit me calme lorsque j’ai une charge mentale, des angoisses… quand j’entre dans cette librairie, laisser voyager mon regard sur toutes ces couvertures m’apaise.
Louise Manteau : La particularité chez Pêle-Mêle, c’est qu’il faut être patient, c’est presque comme un cadeau de tomber sur le livre recherché du premier coup.
JF : Et, parfois, on y trouve d’autres choses auxquelles on ne pensait plus ! Cet endroit, on s’y retrouve vraiment toutes les 4 ! Et, c’est aussi symbolique par rapport à notre histoire puisqu’on s’est toutes réunies autour d’un livre, En finir avec Eddy Bellegueule.

À quel moment avez-vous eu l’idée de vous lancer dans votre projet de création ?
JF : Suite à la lecture du roman En finir avec Eddy Bellegueule, Sophie et moi avons eu un vrai coup de coeur, peut-être aussi parce que nous sommes originaires du nord de la France.
SJ : Nous avons donc échangé autour du livre (et d’une bière !). Après cette discussion, je lui ai dit que j’avais très envie d’en faire un spectacle et Janie m’a tout de suite dit : « moi aussi ! » On s’est donc lancées !
LM : C’est le premier livre de ma vie que j’ai lu d’une traite ! J’ai donc accepté tout de suite de les rejoindre.
JG : J’avais justement lu ce livre quelques mois auparavant et coïncidence, je reçois un mail de La Bécane juste après. En général, je ne m’inscris pas dans un projet dont je ne suis pas à l’origine. Dans ce cas-ci, je les connaissais déjà toutes les 3, ce sont des comédiennes extrêmement inspirantes, la matière l’est aussi et donc j’y suis allée ! Nous avons travaillé dans une configuration collective, où chacun.e a sa place, une place définie et de manière horizontale.

Comment votre projet de création a-t-il évolué au fil du temps ?
JF : Pour l’adaptation du roman, nous voulions transformer la parole indirecte en parole directe, nous avons donc beaucoup travaillé sur les dialogues en improvisation.
SJ : Nous avons travaillé sur cette question, amenée par Jessica : pourquoi monter ce roman sur scène, qu’est-ce que ça peut apporter aux gens ?
JG : Après les improvisations au plateau, le résultat a pris la forme d’une sorte d’autofiction des comédiennes comme a pu le faire Édouard Louis dans son livre.

Avez-vous la notion du temps ?
SJ : Mon rapport au temps est plutôt dilaté ! J’ai l’impression que le temps passe beaucoup plus lentement en moi qu’à l’extérieur.
LM : Je suis fille de cheminot donc je suis drillée au temps, à la seconde, à la minute près ! Ce qui me vaut un gros stress quand je suis en retard de 3 minutes… Ce rapport au temps, c’est plutôt une question de respect, arriver à l’heure c’est mettre à égal celui avec qui j’ai rendez-vous. J’ai lu un jour que les retardataires sont optimistes, parce qu’ils ont l’impression de pouvoir faire beaucoup de choses, ils prennent le temps et arrivent donc toujours en retard. J’aurais bien voulu être optimiste !
JF : Pour ma part, j’ai l’impression d’avoir le temps de faire les choses et je ne suis jamais vraiment à l’heure.
JG : Mon rapport au temps n’est ni ponctuel, ni en retard, ni dilué… selon moi, les choses arrivent quand elles doivent arriver. Je fais confiance au rythme des choses, ce qui me vaut parfois d’être à l’heure ou en retard, de façon globale dans la vie.

Qu’est-ce qui a fait son temps ?
JF/JG : Certains politiques, certaines directions ont fait leur temps… Il faut changer, avoir de nouveaux récits, de nouvelles mentalités, de nouvelles façons de penser, de nouvelles énergies… féministes ! Le patriarcat a fait son temps.

Si vous deviez vous rappeler un temps fort ?
JF : Lorsque Édouard Louis a répondu à un mail du collectif, j’étais en train d’accoucher quand je l’ai lu, c’était le 9 mars 2018.
LM : Elle nous a transféré le mail en écrivant « les filles, répondez, j’accouche ! » 
JG : C’était un moment incroyable, un beau moment du collectif.

Il est temps de…
JG : D’être radical.e, c’est oui ou c’est non !

Distribution

D’après En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis (Éditions du Seuil, 2014), adaptation collective

Mise en scène : Jessica Gazon – Dramaturgie et production : Thibaut Nève – Interprétation : Janie Follet, Sophie Jaskulski, Louise Manteau, François Maquet – Direction technique et regard scénographique : Aurélie Perret – Costumes et accessoires : Elise Abraham – Lumières : Aurore Leduc – Création vidéo : Jérome Guiot – Création sonore : Ségolène Neyroud

Diffusion : La Charge du Rhinocéros – Un spectacle du Collectif La Bécane – Production : L’ANCRE – Théâtre Royal – Coproduction : Atelier 210, Mars – Mons arts de la scène, maison de la culture de Tournai/maison de création, Coop asbl et Shelter Prod – Résidence : Théâtre des Doms – Avignon – Soutiens : WBI, taxshelter.be, ING et du tax-shelter du Gouvernement fédéral belge – Aides : BAMP, compagnie Gazon-Nève.

Copyright © 2014, Édouard Louis, tous droits réservés. Première publication aux Editions du Seuil 2014.