CHIMÈRES

Astrid Akay | Marie Bourin | Victoria Lewuillon | Le Comité

« Jouer, ça multiplie la vie ! On peut s’échapper individuellement mais l’enjeu du théâtre est selon moi de le faire collectivement.» 

Y a des moments dans l’histoire où les morts sont privés de rituels
Y en a qui racontent que c’est comme ça que naissent les fantômes
Comme la Llorona, née lors de la colonisation du Mexique
La Llorona ressemble étrangement aux ptérodactyles
Y en a qui racontent qu’ils vivent toujours

Comme Serge Lewuillon, mort au cours de l’année 2020

Nous avons hérité de tous ses écrits 

CHIMÈRES retrace l’histoire d’une enquête dont le point de départ est la vie de Serge Lewuillon. 

À partir de documents d’archives, trois comédiennes explorent les récits potentiels d’une vie. Ils se télescopent avec ceux de la grande histoire, nous laissant dans le doute de ce qu’il faut ou non croire. 

CHIMÈRES est une célébration des liens que nous entretenons avec nos morts, des chemins qu’ils nous invitent à explorer, des mémoires qu’ils font resurgir. 

On y parle de nos fantômes dans leurs dimensions intimes et collectives voire politiques. 

Prochaines dates de spectacles :

Maison de la culture de Tournai 21›22/11/23
Théâtre de l’Aventure, Hem (France) 1›2/12/23
Le Rideau, Bruxelles 6›16/12/23
Centre Culturel de Namur 30/01›2/02/24
La Chambre d’Eau (Le Favril, France) Festival Les échappées printemps 2024


Interview

Pourquoi avoir choisi cette photo ? Comment vous ramène-t-elle à l’enfance et qu’évoque-t-elle pour vous ?

Astrid Akay : Peut-être que si la personne qui a pris cette photo avait cliqué quelques secondes plus tôt sur le déclencheur, on aurait eu là un portrait de famille adorable : une mère et sa fille qui regardent l’objectif en posant. Mais il semblerait que quelqu’un ou quelque chose soit passé à ce moment-là justement hors cadre, et que l’enfant que j’étais s’est mis à rugir, avec sa crinière de paillettes complètement bancale. Et j’aime encore bien qu’il ait échappé à cette photo mignonne. Tout le jeu est peut-être de se dérober au convenu, à l’attendu, pour saisir un moment qui passe, avec une certaine rage de vivre.

Marie Bourin : Je dois avoir autour de 3 ans. Je suis sans doute en train de me raconter que je suis une aviatrice prête à m’envoler pour une contrée lointaine, ou une parachutiste qui observe le monde juste avant de se lancer dans les airs, ou alors une femme très engagée qui s’apprête à dire quelque chose de vraiment très important, ou peut être juste une mouche qui vient d’apercevoir une grosse miette de tarte et qui se réjouit de ce qui l’attend… Quoiqu’il en soi, y en a qui racontent que ce jour-là, une petite fille a décidé d’expérimenter ce que ça peut faire de voir le monde différemment, de déplacer son regard, de se transformer aussi peut être.

Le théâtre, un jeu d’enfant ? Que vous évoque le mot « jeu » ?

MB : Le jeu, ce serait pour moi un espace qui a tendance à disparaître quand on grandit, à prendre moins de place en tous cas, à être moins central. Et puis bon, quand même, ce serait un espace à sauvegarder. Faire du « jeu » son métier, ce n’est pas anodin. Dire « je vais jouer » quand il s’agit d’aller travailler, ça vient aussi resituer la notion de plaisir dans le travail. C’est quelque chose de joyeux tout en étant cadré. On doit trouver comment convoquer le plaisir du jeu dans la contrainte.

Le jeu est l’espace transitionnel par excellence, l’espace des potentiels : quel lien faites-vous entre vos jeux dans l’enfance et le jeu d’acteur·rice que vous êtes devenu·e ?

Victoria Lewuillon : Enfant, le jeu était pour moi une façon de m’échapper. De ne pas rester enfermée en moi-même. Jouer, ça multiplie la vie ! On peut s’échapper individuellement mais l’enjeu du théâtre est selon moi de le faire collectivement.

Le Comité : Pour nous en tant que collectif, le terrain de jeu s’apparente à un terrain vague où penser le monde, décoloniser nos imaginaires, s’autoriser à ne pas rester enfermées dans le réel. Car c’est indispensable de se soustraire aux injonctions de la société pour esquisser un futur plus désirable. En ce sens, le théâtre se distingue d’un jeu d’enfant.

En tant que metteuses en scène/porteuses de projet, quelles sont vos règles du jeu ? Quels sont les critères de jeu que vous partagez avec l’ensemble de l’équipe artistique ?

Le Comité : Nous avons établi une règle du jeu simple mais fondamentale :

tout au long du travail, nous avons été attentives aux désirs que le projet éveillait en nous (des intuitions ou des envies plus construites de dramaturgie, de mise en scène, de jeu…) et nous les avons soigneusement collectés ; la règle étant que chaque proposition s’attelle à réaliser un ou plusieurs de ces désirs.

Quel est l’enjeu de cette nouvelle création pour vous ?

Le Comité : L’histoire de Serge Lewuillon semble s’adresser à l’enfant que nous avons été : un explorateur parti jusqu’au Mexique à la recherche d’espèces animales encore à découvrir, porté par sa curiosité pour ces cultures ancestrales. Mais peu à peu, l’adulte que nous sommes pose un regard sur cet émerveillement… L’enjeu de la pièce est d’entamer un voyage par glissements de regard sur cette histoire et les échos qu’elle a en nous aujourd’hui.

Jouer le « je » ? À quel endroit d’engagement vous situez-vous par rapport à votre métier ou à cette création ?

MB : Je dirais que je m’investis dans des créations qui agissent sur ma vie, qui ouvrent un champ de réflexion qui va au-delà du projet.
AA : Idem !
VL : Idem !
Le Comité : Et inversement… tout ce que nous vivons agit sur notre création, tout cela est matière à jeu. Nous nous amusons à saisir des bribes de vécu de l’une ou l’autre, à les injecter dans une situation fictive. Cela nourrit notre écriture et notre jeu.

Cette nouvelle création s’apparente plutôt à un jeu collectif ou à un jeu solitaire ?

Le Comité : Un jeu collectif, sans hésiter. Il y a bien eu un moment où nous sommes parties chacune de notre côté pour écrire, mais très vite nous nous sommes saisies des propositions les unes des autres. C’est comme ça qu’une idée abandonnée par l’une se retrouve, transformée, dans une autre proposition et que les scènes passent de mains en mains si bien que l’on finit par ne plus bien savoir de qui était la proposition de départ. Après ça vient l’écriture de plateau (on est en plein dedans en ce moment). On se lance dans de longues improvisations où l’on tente différents montages de ces textes (ainsi que d’autres matériaux), collectivement. C’est ici que vont commencer à intervenir d’autres partenaires de jeu : Nicolas à la lumière, Ivan au mouvement, Adeline pour son regard dramaturgique.

Que reste-t-il de votre enfance ?

VL : Pas grand-chose. Des souvenirs. Sans doute un peu distordus puisque nous sommes des témoins défectueux. Des fragments de vie, souvent au ralenti, dont la B.O. est une playlist aléatoire, qui résonne différemment en fonction du moment où je me souviens. C’est fou, on peut même se souvenir de ce qu’on n’a pas vécu, se souvenir d’histoires reçues à la naissance. Ce qui reste, je suppose que c’est mon regard. Il n’y a sans doute pas de perception qui ne soit imprégnée de souvenirs.


Distribution :

Écriture et jeu : Astrid Akay, Marie Bourin, Victoria Lewuillon – Regard sur la dramaturgie : Adeline Rosenstein –Regard sur le mouvement : Ivan Fatjo – Arrangement musical / répétition chant : Sami Dubot – Scénographie et costumes : Camille Burckel – Construction décor : Sylvain Daval – Création lumière/Régie général : Nicolas Marty – Création sonore : Thyl Mariage – Photographie : Pierre-Yves Jortay

Mentions :

Création : Le comité – Production : maison de la culture de Tournai/maison de création – Coproduction : Le Rideau (Bruxelles), L’Atelier 210, Théâtre de Namur, Théâtre de L’Aventure (Hem, Fr.) – Soutiens : La Chaufferie Acte 1, la plateforme Factory, La Chambre d’Eau (Le Favril, France), Centre Culturel de Mouscron, Centre Culturel d’Engis, Site Rabelais (INSAS) – Avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Service Général de la Création Artistique – Direction du Théâtre –  Accueil en création scénographie : Le Vaisseau